Des leçons à tirer
Il est une vérité fondamentale que nous avons passablement oubliée au fil des siècles ou feignons d’ignorer à mesure que grandit notre pouvoir sur l’environnement : la nature sera toujours plus forte que nous ! Les Anciens, dans leur grande sagesse, ne s’y trompaient pas : l’Homme doit toujours agir cis naturae leges, « dans les limites des lois de la nature », sans quoi, tout ce qu’il fera sera voué à l’échec ou finira immanquablement par se retourner contre lui. Et force est d’admettre qu’aujourd’hui, la Nature (avec un grand N) nous le fait savoir plus souvent qu’à notre tour : hausse des températures, épisodes climatiques extrêmes, pollution de l’air et des océans, désertification, épuisement des ressources naturelles, extinctions d’espèces, épidémies… menaçant jusqu’à notre propre existence.
Ce constat est d’autant plus amer quand on songe qu’avant l’ère industrielle, nos villes étaient en harmonie avec leur environnement parce que les sociétés dépendaient de la nature pour leur bien-être. Or, l’industrialisation a changé quelque chose de fondamental : nous agissons désormais hors de la nature, voire contre elle. Preuve en est que nous passons dorénavant plus de temps à « réparer » les dégâts que nous lui causons qu’à tirer parti des bénéfices qu’elle est en mesure de nous apporter. Et le XXIe siècle n’a fait qu’exacerber ce phénomène, en particulier avec la croissance exponentielle de l’urbanisation.
Pour nous autres, ingénieurs, ce modèle n’est plus tenable. Nous ne pouvons plus ignorer la responsabilité humaine dans la crise écologique, ni dans nos conceptions ni dans notre art de vivre. L’heure est venue de remettre la nature, et donc sa relation à l’Homme, au centre des réflexions urbaines.
Bref éloge du doute
Le constat de l’ère anthropocène enjoint l’Homme à ne plus se croire « maître et possesseur » de la nature. Nous ne parviendrons à cette humilité que si nous avons le courage, tous autant que nous sommes, de faire notre autocritique, et le secteur de la construction au premier chef. Est-il, par exemple, encore raisonnable de construire des tours de verre et de métal, toujours plus hautes qu’elles en percent le ciel, simplement pour nous prouver que nous en sommes capables ? Notre expansion urbaine justifie-t-elle de rogner toujours plus sur nos campagnes, au mépris des cultures et écosystèmes naturels qui s’y trouvent ? Ces libertés que nous prenons, dont on ne se demande plus si elles sont légitimes ou non, ne sont-elles pas plutôt l’expression de notre hybris, cette propension coupable à la démesure que sanctionnaient déjà, en leurs temps, les mythes — par trop édifiants — de l’Atlantide ou de la tour de Babel ?
Ces questions, l’ingénieur, l’architecte, l’urbaniste doivent se les poser, car ils ont évidemment une responsabilité majeure dans le modelage de nos cadres de vie. C’est là, il nous semble, un prérequis avant toute action visant à concevoir ou aménager, dans le futur, des villes que l’on qualifierait de « durables ».
Ces villes où tout se joue…
Les villes sont responsables de plus de 70 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Face à cet état de fait, faut-il pour autant baisser les bras ? Fort heureusement, non. Car l’histoire nous enseigne que les villes, tout comme les hommes, ont toujours su s’adapter. De fait, de génération en génération, nos lieux de vie évoluent avec nous, par nous et pour nous. Ainsi, changer notre manière de « faire la ville », c’est aussi avant tout changer nos comportements, individuels et collectifs, en se questionnant sur le bien-fondé de nos façons actuelles d’habiter, de consommer, de nous déplacer…
C’est seulement par cet effort consenti d’introspection, par la prise de conscience généralisée de la crise écologique, et par une compréhension commune de ses enjeux, que nous serons à même de proposer, avec le concours des nouveaux outils technologiques, des solutions universelles aux grands défis contemporains. L’ingénieur, pour sa part, s’applique déjà à y répondre sur le plan du développement durable, en rendant par exemple les infrastructures et le bâti capables de muter avec le temps et les usages, en recourant plus largement aux matériaux biosourcés comme le bois ou la paille dans les constructions, en redonnant une plus large place à la nature, au vivant et à la biodiversité dans nos espaces de vies, dans le but, non plus de faire cohabiter simplement l’Homme et la nature, mais de les faire évoluer et s’épanouir ensemble.
Chez Egis, nous poussons plus loin cette finalité en proposant une vision systémique de la ville qui entremêle trois enjeux fondamentaux et interdépendants : la neutralité carbone, le bien-être des populations et le respect des milieux naturels et humains. Ainsi recommandons-nous, par exemple, dans nos projets d’aménagement, de limiter l’étalement urbain en construisant la ville sur la ville ou en déclinant des formes urbaines compactes adaptées aux contextes locaux. Notre apport consiste aussi à concevoir et à exploiter des bâtiments bas carbone, bioclimatiques et résilients face aux risques, ou encore à préserver nos trames naturelles vertes et bleues en concevant des infrastructures qui les relient au lieu de les disloquer…
Ainsi appliqués à la ville, les principes du développement durable, on le voit, permettent de dépasser le dualisme et l’anthropocentrisme introduit par la modernité et de pousser vers une conception plus harmonieuse — dirons-nous plus "symbiotique" — de la ville, en ce qu’elle prône une relation réciproquement profitable entre systèmes humains et systèmes naturels. Ne plus agir contre le vivant, penser nos villes selon un modèle de fonctionnement écosystémique, basé sur un ensemble de relations et d’équilibres avec la nature, tels seront, à n’en pas douter, les axiomes essentiels qui devront désormais présider à l’invention de l’urbanisme du XXIe siècle.