L’urbanisme écologique est-il la solution à l’enjeu de la santé dans les villes contemporaines ? Il y contribue certainement, en œuvrant à la réduction des effets néfastes des villes sur la santé des humains. Contribue-t-il néanmoins à « prendre soin » des urbains ?
Santé et villes s’articulent, on l’a vu, selon trois dimensions complémentaires : Faire en sorte que la ville « ne rende pas malade », qu’elle soit un lieu de soin, enfin qu’elle participe à l’amélioration de la santé de sa population ? Cette dernière dimension fait aujourd’hui encore largement défaut. La santé environnementale est évidemment un paramètre à prendre en compte mais en quoi la ville aide-t-elle à « prendre soin », à soutenir les comportements et les modes de vie bons pour la santé, notamment pour les plus fragiles ? Comment la ville participe-t-elle à la prise en charge des grandes questions de santé publique contemporaine : la prévention des maladies chroniques (première cause de mortalité dans les pays de l’OCDE), la prévention des troubles psychiques (qui connaissent un bond inquiétant, notamment chez les plus jeunes), la lutte contre les inégalités sociales de santé (au nord comme au sud) ? Nous manquons à ce jour de modèles, d’un dialogue entre producteurs de la ville, usagers et acteurs de la santé propres à renouveler notre modèle urbain, bref d’un paradigme d’action.
En 2022, une exposition au centre d’information sur l’architecture parisienne (pavillon de l’Arsenal), codirigée par une philosophe et une agence d’architecture (Cynthia Fleury et l’agence SCAU) avait tenté de proposer un cadre réflexif stimulant mais inabouti pour penser le soin dans la ville, en essayant de formuler des hypothèses sur ce que pourrait être « une ville du care ». Malgré ses défauts, l’exposition avait pour mérite de souligner la tension, pour les villes, entre une action sur les infrastructures, bien identifiée, et les actions qui vont toucher plus intimement les individus. Pour produire une ville qui contribue à la santé des urbains, il faut en effet être en mesure d’agir sur leur cadre de vie mais également sur leurs modes de vie.
Comment dès lors échapper au retour des modèles modernistes ou étales ? Comment ne pas renoncer à faire de la ville un acteur de la santé publique ? Des initiatives émergent, elles reposent sur des alliances entre les producteurs de la ville et les acteurs de santé, elles cherchent des voies originales pour produire une action de santé publique en ville. En voici quelques-unes, qui valent inspiration plus que dogme, mais elles indiquent une direction.
A Singapore, la ville-Etat, consciente de l’enjeu que représente la santé de sa population, se mue progressivement en un vaste campus santé où chaque projet urbain, qu’il s’agisse d’un espace public ou de logements, est pensé selon sa contribution à la santé de la population, les infrastructures sanitaires sont présentes sur toute l’île, la pratique sportive est incitée, les comportements nocifs à la santé (tabac et consommation d’alcool) sont très strictement réglementés, l’accès pour tous à une nourriture saine est promue. Dans une perspective très paternaliste, le gouvernement considère la politique de santé comme un des dimensions de la politique urbaine.
A Mumbai, une ville de plus de 20 millions d’habitants, l’accès aux services sanitaires primaires (l’eau, les toilettes publiques) a connu, au cours des dernières années, un très net développement par la constitution d’une alliance originale entre le gouvernement municipal, des ONG, des entreprises internationales et des entreprises locales. Les expérimentations techniques et financières sont fortement incitées pour accroître les points de distribution d’eau, des modules de toilettes publiques (les sudhiva). La municipalité cherche des solutions abordables pour lutter contre les effets de l’insalubrité urbaine par une innovation à la fois sociale, technique et économique.
A Bogota, la nouvelle maire, Claudia Lopez, s’attache à lutter contre l’isolement social des femmes au foyer, souvent accaparées par les tâches domestiques et incapables de prendre soin de leur santé. On estime qu’environ 1,2 million de femmes sont privées d’accès aux soins primaires de santé et d’éducation. La ville a décidé de constituer des « care blocks » rapprochant les services de soins des lieux de vie des femmes concernées. A moins de 20 min de leur domicile, elles peuvent désormais trouver des lieux d’éducation, d’accueil et de répit ainsi qu’un ensemble de soins pour les femmes.
Ces initiatives soulignent combien le prisme de la santé est un vecteur de transformation urbaine et d’amélioration du cadre de vie des urbains. Elles appellent un profond renouvèlement de la place de la santé, qui ne saurait se limiter à l’environnement ou à des lieux. Elles s’attachent à toucher directement les populations, notamment les plus fragiles, elles procèdent par projets sociaux autant qu’urbains, elles articulent le collectif et l’individuel.