Dans notre quête de progrès rapide, un aspect fondamental a souvent été négligé : la durabilité. Résultat, les villes occidentales, érigées sous le signe de l'immédiateté, se trouvent aujourd'hui asphyxiées sous le poids de leur propre conception à court terme. Chaque été, elles étouffent un peu plus et perdent en attrait pour leurs habitants en quête de confort et de sens. Pour insuffler une nouvelle vie à ces espaces urbains, il devient impératif de se tourner vers la nature. Cependant, cette réorientation soulève une question cruciale : comment concilier le rythme lent de la nature avec la nécessité d’avoir des solutions économiquement viables ?
Les solutions fondées sur la nature ne sont pas une nouveauté. Toutefois, en témoignant de leur caractère extrêmement vertueux, elles gagnent aujourd’hui en reconnaissance. De nombreux exemples le prouvent : les solutions fondées sur la nature peuvent être des alternatives économiques à nombre de problématiques en ville. Sous réserve toutefois, qu’elles soient envisagées dès la conception des projets et que l’on comprenne comment mettre à profit le cycle long de la nature.
Prenons l’exemple des sites et sols pollués. La manière la plus radicale de les traiter est d’excaver les terres pour les envoyer dans un centre de traitement. Sur place, ces terres passeront soit par l’incinération soit par le lavage chimique. Inutile de vous donner la définition exacte de ces deux modes de traitement ! L’une comme l’autre est aussi radicale que coûteuse et met un stop à grands nombres de projets. Ce constat, lui non plus, ne date pas d’hier. Il y a trente ans déjà, je m’interrogeais : comment des villes comme Paris pouvaient-elles être composées de friches industrielles polluées sur lesquelles aucun projet n’était prévu ? Ce n’est qu’avec le temps et l’expérience, que la réponse s’est imposée à moi : les porteurs de projets urbains ont bien souvent un regard biaisé sur ces terres. Son origine ? Le coût qu’imposent ces fameuses solutions radicales. En pratique, pour entreprendre un projet d’aménagement, des études de dépollution sont réalisées. Or, d’après la plupart d’entre elles, aucun projet n’est envisageable dans la mesure où le bilan économique d’un projet urbain (quel qu’il soit) ne supporterait pas une dépollution aussi coûteuse que l’excavation.
La phytoremédiation : un choix vertueux et économique
La facilité voudrait de penser que les études de dépollution sont fiables puisqu’elles envisagent logiquement toutes les solutions existantes. Et pourtant, en prenant un pas de recul, d’autres solutions pleines de sens et à la hauteur des nombreux enjeux climatiques et environnementaux que notre siècle doit relever apparaissent comme une évidence. Toutes sont des méthodes naturelles fondées sur la nature. « Trop long », penseront certains ! « Pas assez viables économiquement, » diront d’autres. Pourtant, ces solutions naturelles, fournies par la nature elle-même, ont aujourd’hui le pouvoir de donner un sens à des friches polluées dont personne ne veut, mais dont la ville a en réalité besoin !
L’évolution industrielle a fait oublier à l’homme que la nature est bien faite. Et ce sont justement les conséquences mêmes de cette industrialisation et le changement climatique qui, aujourd’hui, lui rappellent qu’il existe des plantes capables d’absorber les polluants et donc dépolluer de façon naturelle. L’autre bonne nouvelle est que planter des plantes ne coûte pas cher. Cela permet même de faire coup triple en agissant en faveur :
- de la biodiversité en ville, ce qui permet de lutter également contre les îlots de chaleur urbain ;
- d’une meilleure qualité de l’air et d’une meilleure gestion des eaux pluviales. Rappelons-le, un sol en bonne santé absorbe mieux le carbone et filtre davantage l’eau !
Utiliser le temps judicieusement pour en faire un bénéfice
« Les plantes sont idéales, mais elles ont besoin de temps pour agir, et le temps c’est de l’argent… Prendre davantage de temps est souvent incompatible avec les contraintes et les exigences d’un projet urbain. » Remarques classiques qui nécessitent une certaine mise en perspective. Une fiche industrielle polluée non exploitée en ville ou à proximité est rapidement soumise à l’insécurité, l’insalubrité ou encore au dépôt sauvage. Une verrue qui nuit à l’image de la ville et au quotidien de ses habitants. Enclencher un processus de dépollution naturelle grâce à la mise en place de plantes adaptées sera certes plus long qu’un traitement après excavation. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y aura pas de bénéfices avant la dépollution complète ! Pour preuve, en redonnant vie au sol, les plantes ouvrent à d’autres usages temporaires. Des friches sont par exemple de formidables outils de sensibilisation à la biodiversité. Il suffit pour cela de créer un parcours pédagogique permettant de découvrir certaines plantes. Ce qui démontre que le temps, souvent perçu comme un coût, peut devenir un atout si l'on sait l'exploiter judicieusement. Cela vaut pour des friches mais aussi pour tout autre espace urbain.
Récompenser l’action durable
Seul bémol : le principal obstacle à l'adoption de telles méthodes réside dans la structure actuelle des incitations économiques et réglementaires. Disons-le, les maîtres d’œuvre ne sont pas du tout incités à trouver des solutions plus vertueuses et moins coûteuses. Pour cause, la plupart d’entre eux sont rémunérés sur la base d’un pourcentage du montant des travaux. Une incohérence qui nécessite une évolution réglementaire, mais aussi un changement de fond quant à la manière dont sont conçus les appels d’offres. Pour encourager l'adoption de pratiques plus respectueuses de l'environnement, chaque maître d’œuvre qui privilégie ce type d’approche devrait être récompensé et non pas pénalisé par la diminution de sa rémunération.
Exploiter le potentiel du foncier urbain grâce à la nature
De nombreux acteurs publics et privés disposent de terrains inutilisés en ville qui, loin d'être de simples espaces vacants, représentent un potentiel écologique et économique considérable. Ces terrains, souvent perçus comme une charge due à leur entretien, peuvent se transformer en précieux puits de carbone, pour peu qu'on les aménage judicieusement. La clé réside là encore dans l'adoption de solutions fondées sur la nature. En choisissant des espèces végétales à fort développement racinaire et aérien, ces espaces peuvent activer leur capacité de séquestration du carbone, tout en nécessitant un entretien minimal. Une approche qui permet de réduire les coûts d'exploitation, mais aussi d’offrir d'importants co-bénéfices à la ville dès la plantation : lutte contre les îlots de chaleur urbains, amélioration de la qualité de l'air, acculturation sociale en faveur de la biodiversité…
Ce processus illustre parfaitement comment le temps long de la nature peut être harmonieusement intégré dans le tissu urbain pour produire des solutions économiquement viables. Les plantes ont besoin de temps pour croître, c’est un fait. Toutefois, il suffit de bien concevoir un projet pour parvenir à lier intérêts environnementaux et économiques. Le rythme de la nature invite à une conception de projets urbains qui s'éloigne des approches traditionnelles, telles que les constructions routières ou en béton. En ce sens, il est essentiel de prendre en compte les spécificités du sol et du climat, y compris leurs évolutions futures. Cela rallonge évidemment le temps de travail en conception. En revanche, la phase de mise en œuvre et d’acceptation du projet n’en sera que beaucoup plus rapide ! Avec, à la clé, un projet final plus vertueux d’un point de vue social, environnemental et économique.
Se caler sur le cycle de la nature ouvre de nouvelles possibilités, mais s’inscrit surtout dans la philosophie de la « Slow City" qui vise à créer des espaces urbains où les résidents peuvent prendre le temps d'apprécier et de vivre pleinement leur environnement. Une approche qui implique tout naturellement que la conception elle-même prenne le temps. Le temps de quoi ? Le temps de penser durables pour faire des économies, d’anticiper les usages de demain pour éviter de devoir à nouveau investir, de mettre en œuvre des espaces naturels adaptés aux contextes climatiques, mais aussi à la demande générale des citoyens pour donner la possibilité aux villes de rester attractive longtemps.
Une approche écosystémique rentable
L'approche écosystémique de la nature et de la ville s'avère non seulement rentable, mais aussi essentielle pour anticiper et s'adapter aux défis futurs, notamment le changement climatique. Grâce au principe de sélection génétique, il devient par exemple possible de choisir des plantes en fonction de leur réelle capacité d’adaptation à un territoire, mais aussi à son potentiel changement climatique. Une sélection qui permet aux plantes de mieux résister dans le temps que certains matériaux inertes et donc d’ouvrir la voie à une urbanisation plus adaptative et résiliente. Cette notion d’adaptation à l’évolution du climat est très nouvelle du côté des maîtres d’ouvrage et implique, elle aussi, d’envisager le temps long non plus comme un obstacle, mais comme une opportunité. Une prise de conscience loin d’être collective ! En témoignent les projets du Grand Paris qui n’ont pas été conçus pour s’adapter au changement climatique et qui, face aux prédictions, risquent de devenir rapidement obsolètes, nécessitant à moyen termes de nouveaux investissements. Une preuve de plus s’il en fallait que ce n’est pas le cycle long de la nature qui représente un défi économique, mais plutôt l’incapacité de l’homme à l'intégrer efficacement dans ses plans de développement urbain.
Il est temps de repenser notre approche économique et législative pour favoriser le développement des solutions fondées sur la nature. Loin d'être un frein économique, ces méthodes représentent un investissement judicieux pour l'avenir, promettant des villes plus résilientes, saines et durables. En intégrant le cycle lent de la nature dans l'urbanisme, nous pouvons non seulement répondre aux défis environnementaux actuels, mais aussi créer des espaces urbains où il fait bon vivre sans y perdre financièrement.