La quantité de données produites par les entreprises double quasiment tous les deux à quatre ans, et le domaine de l'aviation n'y échappe pas. Le secteur produit des pétaoctets de données qui sont régulièrement utilisées pour fournir toutes sortes d'informations commerciales, opérationnelles et sécuritaires. Mais qu'en est-il de l'environnement ? Les données existantes peuvent-elles fournir des informations utiles sur la durabilité des opérations des aéroports ? Dans ce blog, Peter Straka partage des informations recueillies auprès d'opérateurs d'aéroports et revient sur sa propre expérience de création de programmes de suivi des performances environnementales, notamment des classements des compagnies aériennes.
Conclusion de l'étude
Avant la pandémie, nous avons effectué une étude auprès de plus de cinquante opérateurs d'aéroports à travers le monde (plus particulièrement en Europe) pour connaître les données environnementales qu'ils collectent, les indicateurs qu'ils mesurent et comment ces informations influencent leurs opérations quotidiennes ou leurs prises de décision. Il est ressorti de l'étude que la plupart des opérateurs ne collectaient que les données nécessaires pour répondre aux exigences de reporting réglementaires.
- En moyenne, les aéroports qui n'opéraient qu'une seule piste mesuraient généralement deux ou trois indicateurs de bruit et un indicateur d'émissions, alors que ceux de deux pistes ou plus mesuraient quatre indicateurs de bruit et trois indicateurs d'émissions.
- 90 % des répondants ont cité les exigences réglementaires comme principale raison pour mesurer les indicateurs de bruit des aéroports. Plus de 80 % des répondants mesuraient l'exposition au bruit et plus de 70 %, les nuisances sonores. Près de la moitié des répondants seulement mesuraient les indicateurs sonores ponctuels ou les indicateurs sonores exigés pour les certifications, probablement en raison des coûts d'investissement élevés des stations de mesure, pour les événements ponctuels, et de la complexité du processus de collecte de données, pour une approche basée sur la certification.
- Pour les trois-quarts des répondants, les obligations légales demeuraient la principale raison de mesurer les indicateurs de consommation de carburant et d'émissions. 80 % des répondants mesuraient les taux de concentration d'au moins un gaz spécifique, plus particulièrement les taux de NOx, COx et PM10. Moins de la moitié des répondants mesuraient un indicateur lié à la consommation de carburant, en raison de la complexité du calcul de la consommation précise de carburant et des incertitudes concernant les indicateurs de performances de plusieurs avions, pour lesquels l'opérateur de l'aéroport ne disposait peut-être pas de données fiables.
La quasi totalité des répondants s'accordaient à dire que les données environnementales qu'ils collectaient influençaient leurs prises de décisions stratégiques. Parmi les exemples mis en avant, citons les activités de management environnemental, les obligations légales, l'amélioration des activités de réduction ou de ciblage de l'impact environnemental, les ajustements des taxes d'atterrissage ou la planification de restrictions opérationnelles pour l'année suivante.
Cependant, la situation n'était plus la même lorsqu'il s'agissait de prises de décisions tactiques. Près de la moitié des répondants ont déclaré prendre « des décisions tactiques le jour J », en fonction des performances observées pour les indicateurs environnementaux qu'ils mesurent. Soit ils étaient dans l'incapacité de fournir des exemples pertinents de telles prises de décisions, soit les exemples fournis étaient de nature plus stratégique. Les principales préoccupations des intervenants impliqués dans la chaîne opérationnelle concernaient la sécurité et l'efficacité. L'environnement n'était pas systématiquement pris en compte lors de la prise de décisions tactiques, celles-ci étant principalement motivées par la sécurité et la rentabilité et les décisionnaires ne disposant pas toujours des outils nécessaires pour appuyer leurs actions.
Mais surtout, la possibilité d'influencer les performances environnementales à travers des décisions tactiques est probablement plus élevée pour les aéroports de plusieurs pistes. Ils peuvent en effet mettre en place des programmes d'alternance des pistes qui offrent un répit sonore prévisible ou de désigner des pistes préférentielles pour les types d'appareils plus bruyants.
Il est donc clair que les aéroports collectent de grandes quantités de données, principalement pour préparer des rapports destinés au régulateur. Mais une fois ces données collectées et stockées, pourquoi ne pas les exploiter pour améliorer les performances environnementales ?
Améliorer les performances environnementales
Il existe de nombreuses activités pour lesquelles les aéroports pourraient utiliser leurs données afin de mieux comprendre l'impact environnemental et motiver des changements de comportements pour réduire cet impact.
L'introduction de classements des compagnies aériennes en est un exemple. Ces classements peuvent en effet inciter les compagnies aériennes à rechercher une efficacité optimale, aussi bien du point de vue opérationnel qu'environnemental. Les compagnies aériennes sont classées en fonction de leurs performances, mesurées par divers indicateurs conçus pour répondre aux objectifs spécifiques des aéroports. Si, par exemple, l'aéroport veut réduire le bruit la nuit, il peut introduire un indicateur pour mesurer les performances sonores nocturnes des différentes compagnies aériennes. Un système de notation peut également être mis en place pour refléter l'importance relative des indicateurs choisis.
Les collectivités confondent parfois l'impact environnemental des aéroports et celui des compagnies aériennes. Un classement des compagnies aériennes peut les aider à comprendre que l'aéroport n'est aussi « propre » et silencieux que les compagnies aériennes qui l'utilisent.
Résultats concrets
Chez Egis, nous apportons depuis dix ans notre assistance à des aéroports comme ceux de Heathrow, Gatwick, Toronto Pearson ou Lisbonne pour leurs programmes de classements des compagnies aériennes. Durant toutes ces années, nous avons observé concrètement les améliorations environnementales apportées par ces programmes.
Par exemple, les performances d'une compagnie aérienne pour ses indicateurs de descente continue (CDO) étaient plutôt mauvaises. Le suivi et les comparaisons des classements de performances ont permis de découvrir que la propre procédure de CDO de la compagnie ne correspondait pas à celle demandée par l'aéroport. Après alignement de ses procédures, la compagnie a vu une amélioration considérable de ses performances pour ces indicateurs, ce qui s'est accompagné d'une réduction des nuisances sonores autour de l'aéroport et d'une réduction de la consommation de carburant pour la compagnie.
Autre exemple : il s'est avéré que les premières versions d'un gros avion de ligne étaient déployées avec un système de gestion de vol incapable de suivre correctement des itinéraires de vol préférentiels préétablis en raison du bruit. Une fois de plus, c'est un classement des nuisances sonores qui a permis de le découvrir, et une simple mise à jour du logiciel a suffi pour résoudre le problème (et là encore, les populations locales ont bénéficié du fait que les avions volaient dans les couloirs aériens corrects).
Indicateurs personnalisés en fonction des données disponibles
Lors de nos travaux dans le cadre de ces programmes, nous avons découvert que les circonstances opérationnelles variaient d'un aéroport à l'autre et qu'il n'existait pas d'indicateur « universel » susceptible d'être réutilisé à l'échelle mondiale. En fait, pour chacun de ces programmes, tous les indicateurs ont dû être conçus de toutes pièces, en tenant compte de priorités souvent contradictoires, des exigences règlementaires locales et des données disponibles. L'élaboration de classements des compagnies aériennes se heurte généralement à deux principaux problèmes :
- Parvenir à un compromis entre la précision des résultats des indicateurs et les données disponibles. Il est dans l'intérêt de toutes les parties concernées de définir un indicateur aussi précis que possible, pour permettre une comparaison juste et objective des performances des compagnies aériennes. Cependant, la précision des résultats dépend de celle des données utilisées pour les calculer. Nous avons vu des cas où l'aéroport ne lançait le processus de collecte de données qu'après avoir défini l'indicateur pour le programme. Une telle approche est loin d'être idéale, puisqu'elle ne permet pas de tester dès le départ la sensibilité du programme pour l'inclusion de l'indicateur envisagé. En outre, les résultats de l'indicateur peuvent contenir des biais cachés que l'on ne découvrira qu'après avoir collecté et analysé une quantité critique de données (par exemple, les opérateurs de longs courriers peuvent être mieux notés non pas du fait de leurs performances, mais à cause de la façon dont l'indicateur a été défini).
- Compromis entre la précision des indicateurs et leur complexité. Afin de pouvoir comparer les performances des compagnies aériennes le plus objectivement possible, tous les indicateurs utilisés doivent être conçus de façon à ce que les scores obtenus ne soient pas affectés par des facteurs externes. Par exemple, pour la notation des performances d'approche en descente continue (CDO) des compagnies aériennes, l'indicateur doit également prendre en compte les contrôleurs aériens (ATC) et la complexité du trafic, qui jouent tous deux un rôle important dans la capacité du pilote à effectuer une CDO. Compte tenu de la complexité de la chaîne des opérations d'un aéroport et des nombreuses interactions avec divers intervenants, il est difficile de concevoir des indicateurs objectifs. Bien que cela soit possible (en fonction des données disponibles et de la puissance de calcul informatique), de tels indicateurs risquent d'être excessivement compliqués. N'oublions surtout pas que le programme de classement des compagnies aériennes doit être accessible aux collectivités locales ayant des connaissances limités des opérations aériennes. Il est donc logique de proposer les indicateurs les plus simples qui soient. Malheureusement, cela va à l'encontre des priorités des compagnies aériennes et des aéroports pour établir les programmes les plus objectifs possibles. Notre expérience nous a appris que parvenir à un juste équilibre entre l'objectivité des indicateurs et leur simplicité est tout autant un art qu'une science.
Accès et automatisation
La croissance exponentielle des données aériennes, associée au déploiement progressif de systèmes d'intelligence artificielle, devrait réduire certaines des difficultés mentionnées ici. Les données existent – détenues par les aéroports, les compagnies aériennes ou les tours de contrôle – mais il n'est pas toujours possible d'y avoir accès pour des raisons de confidentialité. Il serait possible de développer des solutions évolutives basées sur le Cloud, qui fourniraient toutes les réponses nécessaires à quiconque, qu'il s'agisse d'un citoyen lambda vivant à proximité d'un aéroport voulant connaître le numéro de vol d'un avion trop bruyant, d'un analyste d'aéroport devant préparer des rapports opérationnels à l'intention du régulateur, ou du directeur général de l'aéroport souhaitant s'appuyer sur les tendances à long terme pour ses prises de décision.
En attendant, les aéroports peuvent d'ores et déjà exploiter les données dont ils disposent pour prendre des décisions aussi bien stratégiques que tactiques qui amélioreront les performances environnementales - pour les classements des compagnies aériennes et autres tableaux de bord, il est possible d'automatiser les processus et d'obtenir des informations qui permettront de faire la différence.