Les véhicules autonomes portent la promesse d’une mobilité enfin apaisée, durable, sûre et efficace. Mais ce pari est-il réaliste à moyen terme ? Nous pensons que non, à moins que les routes ne viennent apporter un appui décisif à l’autonomie des véhicules.
La route intelligente, passage obligé pour le véhicule autonome.
En matière de mobilité, une révolution majeure est en cours. La convergence entre le secteur automobile et la tech n’a jamais été aussi importante. Deux mondes se rapprochent et les alliances entre grands acteurs se multiplient : Intel et Toyota, Cisco et Valeo. Valeo qui, pourtant modeste à l’échelle des GAFAM*, consacre 350 M€ d’investissements par an au véhicule autonome !
Et la route ? Quel est son rôle dans la mobilité de demain ? Simple support inerte, faire-valoir low tech de toute l’intelligence des véhicules ? Nous sommes convaincus au contraire que la route intelligente va s’imposer !
Voilà bientôt un siècle et demi que la voiture existe. Avec elle, notre relation au territoire s’est réinventée. En parallèle, notre rapport à l’espace a été totalement recomposé par le développement du réseau routier. Sans lui, pas de progrès en matière de rapidité, de tenue au sol, de tracés, d’aménagements riverains, de volume de trafic, de confort ou de sécurité…
Experts en marketing et en techno push, les constructeurs automobiles promettent une mobilité sans conducteur, illimitée dans l’espace. Leurs prototypes, pourtant bardés de capteurs, ne perçoivent rien à plus de 200 ou 300 mètres, même en conditions optimales, ce qui, à 130 km/h, représente une distance parcourue entre 5 et 8 secondes. C’est très peu pour s’adapter à un danger imprévu tel qu’une voiture immobilisée ou une zone de travaux.
Aujourd’hui, l’autonomie des véhicules se mesure sur une échelle de 0 à 5 définie par la Society of Automotive Engineers (SAE) : si vous vous déplacez dans un véhicule de niveau 4, oserez-vous détourner le regard de la route, quels que soient l’axe emprunté et la circulation ? Que vous soyez place de l’Étoile à Paris ou sur une autoroute, qu’il y ait du trafic ou pas, aucune différence pour vous ?
Très clairement, l’autonomie réelle passera par un dialogue instantané entre la route et le véhicule. La route doit devenir le partenaire intelligent de l’automobile. C’est la clé qui sécurisera les déplacements et libérera vraiment le temps jusqu’ici consacré à la conduite
Une infrastructure à haut niveau de service : l’enjeu clé pour la route et pour le véhicule.
A quoi ressemble la route de demain ? C’est une route partenaire du véhicule, une route capable de communiquer en temps réel sur son état, donc sur le niveau de service, autrement dit la performance qu’elle offre au véhicule lorsqu’il s’y engage.
Le niveau de service offert dépend à la fois de fondamentaux tels que la qualité du revêtement, la sévérité des courbes, la densité des carrefours, la performance du marquage au sol ou encore l’efficacité de la signalisation, mais aussi d’événements aléatoires venant modifier le trafic. Des applications de trafic et de navigation communautaire comme Waze nous font déjà toucher du doigt cette réalité. Mais insuffisamment fiables et précises, les données recueillies dans les systèmes actuels sont encore loin de satisfaire aux exigences de sécurité.
Seule la route intelligente pourra garantir cette sécurité. Une route qui aura donc son jumeau numérique, un pendant digital aux installations physiques. Les constructeurs automobiles ont compris très tôt cet enjeu. La digitalisation du réseau routier est déjà en marche à travers la course à la cartographie HD. Ira-t-on demain jusqu’à la « labellisation » du réseau routier ? Seul l’avenir sera en mesure de le dire.
Peut-être même que le comportement du véhicule sera, in fine, dicté par l’infrastructure ! Imaginez une infrastructure capable de faire éviter les feux rouges, en régulant la vitesse du véhicule pour lui permettre de bénéficier de « l’onde verte ». Imaginez encore un véhicule guidé par l’infrastructure pour éviter le trafic ou repérer la place de stationnement la plus proche...
L’ingénieriste d’infrastructure, au croisement des deux mondes.
Réussir ce défi passe par une coopération renouvelée entre les gestionnaires routiers et les constructeurs automobiles.
Aujourd’hui, tout les oppose : le modèle économique (le contribuable essentiellement pour l’un, l’utilisateur payeur pour l’autre) et le cycle de développement (une dizaine d’années pour les infrastructures, deux ans pour la production automobile, voire quelques mois pour le software dont la part est grandissante.)
Leur avenir est pourtant commun. Ils ont besoin l’un de l’autre pour penser les offres et les produits de demain. Pour gagner du temps, pour faciliter le dialogue, le rôle de l’ingénierie est fondamental.
Qui est mieux placé que l’ingénierie pour décrire l’objet routier et décrypter son niveau de service ? Qui mieux qu'elle saura gérer les projets de transformation de l’infrastructure nécessairement inscrits dans le temps court ? Qui d’autre saura aussi bien exploiter les montagnes de données produites, développer le modèle économique et enfin évaluer le niveau de sécurité d’une alliance indéfectible : celle qui unit la route et le véhicule ?
Le défi est immense. Les acteurs privés, constructeurs automobiles au premier rang, comme les puissances publiques, appellent de leurs vœux une action rapide de la part du monde des infrastructures. En France, c’est l’un des messages clés adressés par la mission interministérielle sur le véhicule autonome, qui vient de rendre ses conclusions au gouvernement. Saurons-nous collectivement être à la hauteur ?
* Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft